Hide Park...

La pluie londienne avait remplacé la neige de Reykjavik mais Élise était toujours aussi perdue. Elle venait d'attérir à Londres et cette capitale gigantesque l'effrayait par son immensité. Trop de monde au goût de la jeune Schiff qui maintenait fermement sa capuche sur son visage. De quoi avait-elle donc l'air dans sa longue houppelande noire à déambuler au beau milieu de la nuit ? Personne ne semblait la remarquer, peut-être parce qu'elle avait déjà vu des dizaines d'individus plus excentriques au hasard de ses pérégrinations dans la ville anglaise.
Élise soupira. Personne aux alentours. Elle en profita pour rabattre sa capuche, sentant avec plaisir la pluie ruisseler librement sur son visage. C'était si agréable en définitive.
Mais elle n'était pas seule. Deux hommes émergèrent des buissons, non loin d'elle, lames de rasoir et couteaus au poing, un mauvais sourire sur leurs visages patibulaires.
- On s'promène toute seule, la petite jeune fille ? Elle sait pas que c'est dangeureux ? Paraît que ya un tueur qui rôde...
Ils se mirent à rigoler comme des tordus.
- Ne vous inquiétez pas pour moi, répondit Élise gentiment avec un sourire. Je n'ai pas peur et je sais me défendre. Mais merci de votre sollicitude.
Elle s'apprêta à reprendre sa promenade, peu désireuse de parler davantage à des humains. L'un des deux hommes courut se placer au devant d'elle, tandis que l'autre restait derrière. Que cherchaient-ils donc à faire ? Lui couper la route ?
- Hé, la greluche ! T'as pas compris, je crois. Retire ta vilaine cape, qu'on voit à quoi tu ressembles...
Élise les regarda, interloquée. Quelle drôle d'idée...
- Il pleut, répondit-elle doucement.
- Mais quelle gourde !
Celui qui était devant elle s'approcha en exhibant son couteau et voulut l'effrayer en tailladant sa cape. Élise l'évita d'un pas. Que lui voulaient-ils ? Savaient-ils ce qui s'était passé à Reykjavik ? Impossible...
- Laissez-moi. Vous allez le regretter.
Son attaquant, empestant la bière, eut une imprécation de rage et repartit dans une nouvelle charge, suivi par son complice. Maintenant, ils en avaient toujours après ses vêtements mais aussi son visage. Élise les évita encore de deux pas, plus rapide que la vision humaine. Ils la regardèrent avec une haine mêlée de peur. Cette fois, c'était sa vie qu'ils voulaient.
- Très bien, soupira Élise, faut-il toujours que des humains se mettent dans des situations mortelles par ma faute ?
Sa cape claqua, tournoyant autour d'elle, et sa hallebarde apparut dans sa main droite. Les visages de ses agresseurs se décomposèrent et ils s'enfuirent immédiatement, pas si fous après tout.
Élise pencha la tête, les considérant d'un air pensif. Elle se mit soudain à courir et abattit sa hallebarde deux fois. Les deux hommes, dans une gerbe de sang, cessèrent définitivement leur course.
Debout près de leurs cadavres, elle entendit un grognement dans l'obscurité et deux yeux jaunes s'y dessinèrent, maléfiques. Tiens donc, le tueur de Hyde Park était un Chiroptère ?

Un humain... ?! Vu ce qu'Élise venait de faire des deux derniers qui avaient croisé sa route, cela s'annonçait mal pour lui. Mais elle retint sa hallebarde : il lui évoquait aussi furieusement un Chiroptère.
Mmmmh... Dans un cas comme dans l'autre, la seule réponse appropriée était une décapitation proprement faite. S'il était humain malgré ses dents et ses yeux, il était témoin du double meurtre qu'elle venait de comettre, et s'il était Chiroptère, et bien... Elle était Schiff, non ? Le massacre de ces créatures était sa fonction principale.
C'est alors qu'il s'avisa de lui parler. Élise était polie, on lui avait appris à toujours répondre aux questions qu'on lui posait.
- Je suis Élise, dit-elle avec son visage de jeune fille bien élevée. Et je suis une Schiff. Ce que je veux ? Je ne sais pas. Mais je dois retrouver les miens et tuer tous les Chiroptères sur mon passage. Vous êtes un Chiroptère, n'est-ce pas ? Je crois que je vais vous trancher la tête si c'est le cas.
Élise jeta un regard furtif sur les deux cadavres derrière elle. Elle aurait dû se nourrir avant de les découper à la hallebarde. C'était un peu du gâchis. D'autre part, tuer des humains ne faisait pas partie de sa fonction. Elle se sentit soudain un peu coupable. Même pour se nourrir, ce n'était pas nécessaire de les tuer. Bah, elle réfléchirait à ce problème plus tard.
- Alors, vous ne répondez pas ? lui demanda-t-elle encore avec son air perpétuellement angélique, détachée.

Sion recula d’un pas face à la hallebarde de la jeune femme. Il la fusilla du regard. Qu’était-ce donc qu’un schifft ? Et un chyroptère ? Elle disait qu’il était un chyroptère … Peut être que oui, finalement. Si ce mot désignait bien la créature qui l’habitait. Quoi qu’il en soit, cela n’avait rien d’agréable à ses yeux, et qui plus est, la « schifft » voulait le tuer … De mieux en mieux. Pourtant, les deux cadavres gisant à ses pieds étaient bien des humains. Alors pourquoi disait-elle tuer les chyroptères ? Sûrement une dégénérée, rien à en tirer. Sion s’apprêta donc à renoncer à celle qui venait de lui dérober ses proies, mais quelque chose d’étrange le retint encore. La première chose qu’il avait ressenti en la voyant, cette impression de … familiarité. Cette jeune femme avait quelque chose en commun avec lui, et il le sentait. Il est vrai qu’une jeune fille aussi frêle d’apparence ne devrait pas porter une arme aussi imposante. Et sa morphologie était aussi inquiétante. A commencer par ses oreilles, pointues et longues. Le Chyroptère se ramassa sur lui-même prêt à bondir sur la schifft. Ses yeux ne devinrent plus qu’une légère fente rougeâtre avant que ses doigts ne s’agitent. Il sentait déjà le cou de la frêle créature entre ses doigts …

- Alors, vous ne répondez pas ?

La créature se détendit légèrement sous le coup de la surprise. Jamais une proie ne lui avait ainsi adressé la parole, ce qui permis à Sion de reprendre momentanément le dessus. Il se redressa et repris légèrement un aspect humain. Ses crocs disparurent, mais ses yeux restèrent rouges clair. Il saisit machinalement son arme à feu mais ne la sorti pas.

« Elise ? Vous êtes un schifft. Je suis désolé, mais je n’ai aucune connaissance dans ce domaine. Quant à ce que je suis, cela ne regarde que moi. Ne vous avisez donc pas de lever votre arme sur moi, sinon je serai dans le devoir de me défendre, ma chère dame. Qui sont les deux hommes derrière vous ? »

- Vous n'êtes donc pas un Chiroptère, murmura rêveusement Élise. Si cela avait été le cas, vous vous seriez jeté sur moi et vous seriez mort. Ces deux hommes ? Ils voulaient m'arracher mes vêtements, je n'ai pas trop compris pourquoi. Et ensuite, comme j'ai refusé, ils se sont mis en tête de me tuer. Alors ils sont morts.
Elle haussa les épaules. Certains agissements des humains lui étaient des plus énigmatiques. L'autre en face d'elle ne lui paraissait plus si menaçant. Elle ne serait peut-être pas forcée de le tuer après tout...
- Je vous ai dit que je m'appelais Élise, dit-elle avec un sourire soudain, mais vous ne m'avez pas dit comme vous vous appeliez. On m'a appris que ce n'était pas très poli de ne pas se présenter.
Élise avait décidé que son interlocuteur n'était pas son ennemi et, dans sa logique innocente, ceux qui n'étaient pas ses ennemis étaient ses amis...
- Dites, je ne connais pas du tout cette ville. Vous ne voudriez pas m'emmener dans un endroit où on écoute de la musique, par exemple ? Après que vous m'ayez dit votre nom, naturellement. Ah, et je dois vous prévenir, les rayons du soleil peuvent provoquer ma mort donc je serai obligée de vous fausser compagnie avant l'aube. À moins que vous n'ayez un refuge à me proposer...
Elle le regardait avec de grands yeux plein d'espoir, semblable à une petite enfant qui attendait ses cadeaux de Noël.

Élise sourit. Il était vraiment gentil avec elle. C'était si nouveau ça. Il n'était pas un Schiff mais, pour le moment, de tout ce qu'elle avait pu croiser, c'était ce qui y ressemblait le plus...

- Alors hâtons-nous, dit-elle avec joie. J'ai lu sur un plan qu'il y avait un opéra dans le quartier de Covent Garden. Vous allez m'y emmener ? Je meurs d'envie d'aller à l'opéra. Je n'y suis jamais allée, vous savez ? Jamais depuis qu'on nous a fabriqués... Et la musique d'opéra est tellement belle...

Elle se tut. Il ne devant sans doute rien comprendre.

- Oui, alors les Schiffs et les Chyroptères... Déjà, il faut dissocier les Chyroptères originaux des nouveaux Chyroptères, du moins, c'est ce que j'ai pu comprendre en laissant un peu trainer mes oreilles au laboratoire. Les Originaux sont intelligents et capables de prendre une forme humaine bien qu'ils se nourrissent aussi de sang humain. Les autres Chyroptères sont des monstres assoiffés de sang avec une tête de chauve-souris et un corps de colosse. Ils se régénèrent dès qu'ils sont blessés et le seul moyen d'en venir à bout, c'est soit le sang de Saya soit la décapitation. Nous, les Schiffs, nous avons été créés à partir du sang de Diva, pour lutter contre ces monstres. Mais quelque part, ils ont dû rater l'expérience car la lumière du soleil peut nous tuer et ensuite notre espérance de vie n'est pas très longue. Tôt ou tard, les souns viennent, sous forme de fissures dans notre corps, et nous finissons par nous évanouir en poussières. C'est triste mais c'est comme ça. Tous les Schiffs se sont enfuis du laboratoire mais pas tous en même temps alors j'essaye de retrouver les miens. Et au passage, si je peux tuer des Chyroptères, je le fais bien volontiers. C'est ma fonction, après tout, le but de ma création.
Voilà, vous savez tout ce que j'ai pu apprendre. C'est peu, hein ?

Élise eut un grand sourire. Sion devait n'avoir rien compris, peut-être parce qu'elle-même n'avait pas compris grand chose depuis le tout début. Elle dissimula sa hallebarde (si si, c'est possible ) et le tira par la manche :
- Vous m'emmenez à l'opéra maintenant ? S'il vous plaaait ?

Élise fit la moue et le suivit en trainant des pieds. Elle voulait aller voir l'opéra. Elle le voulait tellement.
- Je n'ai pas soif, bougonna-t-elle. Je me suis déjà nourrie.
Elle fronça dangereusement les sourcils, très déçue.
- Je ne sais pas pour les Chiroptères. Je sais qu'aucun ne m'a jamais paru être humain. Ils sont laids, puants, stupides et très forts.
Sion l'emmenait vers un hôpital sans doute pour boire du sang et l'idée lui paraissait...idiote.
- C'est stupide d'aller dans un hôpital pour se nourrir. À l'opéra, il y aura sans doute plein d'humains. Vous pourriez en attraper un à l'écart et vous nourrir. C'est quand même drôlement meilleur que de boire du sang transfusé.
Elle sourit soudain et attrapa Sion par le bras.
- Venez, je vais vous montrer. Nous pourrions même en attraper un avant la représentation !
Toute excitée à l'idée de se livrer à ce qu'elle considérait presque comme un jeu, Élise entraina Sion à sa suite, déployant toute sa vitesse hallucinante de Schiff.
- Il ne faut pas avoir peur, rit-elle. Je me suis même dit que ce n'était pas nécessaire de tuer les humains. Si on boit un peu de leur sang puis qu'on passe à quelqu'un d'autre, ils devraient survivre. C'est mieux, non ?
Ne demandant même pas son avis à Sion, elle le conduisit de force devant l'opéra, désireuse de satisfaire son caprice de petite fille.

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