Dans les rues de Paris...

La prenait-il pour une idiote ?
Cymoril quitta sa voiture, claquant la portière et fit quelques pas sur le quai désert au bord duquel elle s'était garée. Il faisait nuit noire, çà et là quelques lumières se reflétaient dans la Seine : lampadaires, phares, etc. C'était un des lieux les plus famés de la vieille capitale mais elle n'en avait cure. Le premier qui s'aviserait de s'en prendre à elle aurait la peur la plus horrible de sa vie avant d'en perdre littéralement la tête. Elle empoigna l'arc qu'elle avait sorti de son coffre et suspendit son carquois à sa ceinture.
Qui qu'il puisse être, elle ne le laisserait pas la suivre impunément. Son existence même était en jeu. Si ce motard pensait pouvoir la prendre en filature des ruines de son château jusqu'en plein Paris, elle allait lui apprendre qu'il se trompait. Elle regretta soudain d'avoir laisser libre cours à ses instincts. Le vieil humain ne lui avait rien fait et elle s'était jurée de toujours lutter contre sa nature chiroptera. Tant pis, ce n'était pas le moment pour les remorts tardifs.
Elle alla se dissimuler dans l'obscurité, sous un pont, et encocha une flèche, attendant son poursuivant.
Le phare de la moto ne tarda pas à apparaître et l'homme arrêta son véhicule à côté de la voiture abandonnée. Étrange, cette houppelande qui flottait tout autour de lui, dissimulant l'ensemble de son corps. Un soupçon l'effleura. Était-il seulement humain ? Un seul moyen d'en avoir le coeur net...
La flèche partit.

Pour se retrouver aussitôt embroché d'un coup de rapière...
Cymoril retira la lame ensanglantée. Non, il n'était pas humain et ce n'était pas un Chevalier, cela elle en était sûre. Peut-être un autre Chiroptera originel ? En général, elle évitait ses "confrères" comme la peste et à cet instant précis, elle comprenait qu'elle avait eu bien raison. Mais les Chiroptera ne s'attaquaient pas entre eux !
- Navrée mais je crains de devoir décliner l'invitation, dit-elle en lui transperçant le coeur une nouvelle fois.
Elle s'aperçut alors qu'il souriait d'un air dément. Elle recula alors d'un bond, essayant d'éviter la lance qu'il projeta sur elle. Ses mouvements... Elle était à peine capable de les suivre des yeux !
- Mais qui êtes-vous ? demanda-t-elle, la mâchoire serrée.
La lutte allait être bien plus ardue que prévue. Tant pis, elle savait ce qui lui restait à faire et elle pria pour qu'aucun "innocent" ne passe à proximité...

- Un Schiff ? Qu'est-ce donc ? Et vous me voulez ? La belle affaire ! Sachez donc que mon sang est celui d'une Chiroptera, jamais il ne vous rassasiera, imbécile.
Cymoril s'en voulut aussitôt d'avoir répondu à son attaquant. Technique classique pour déstabiliser l'adversaire. Mais il avait touché une corde sensible et, comme il ne semblait pas encore près à reprendre le combat, elle poursuivit :
- Faiblards d'humains ? N'oubliez pas que nous l'avons été vous et moi même si j'ignore ce que vous pouvez diablement être. Nous nous en nourrissons, certes, mais ce n'est pas une raison pour...
La lance qu'elle reçut en plein abdomen l'interrompit brutalement. La douleur la plia en deux.
- Félon, grogna-t-elle, retrouvant ses anciennes expressions.
- Les Humains sont ce qu'ils sont, rien de plus qu'un garde-manger.
Elle hurla alors qu'il tordait la lance dans sa blessure. Un fou, elle en eut une nouvelle preuve en croisait son sourire malveillant.
Mais il avait juste oublié un détail : elle n'avait pas lâché sa rapière. Cette fois, elle visa le cou. Lorsqu'elle retira la lame, le Schiff eut un cri étranglé et se mit à ruisseler de sang. Moins qu'elle, cependant. Une véritable mare s'était formée autour de ses genoux. Elle allait s'affaiblir et déjà elle commençait à avoir terriblement soif.
Elle se releva et se dégagea, se retenant de ne pas hurler. Cela faisait une éternité qu'elle n'avait pas donné dans un tel combat. D'une certaine manière, cela se révélait intéressant. Elle fit quelques pas chancelants, sentant sa blessure se refermer.
Morio Toki se releva à son tour.
Des bruits les alertèrent soudain, des gens approchaient. Ils ne tardèrent pas à apparaître : un groupe de jeunes passablement îvres. Tiens, on était donc jeudi soir ? Cette fois, Cymoril décida de se passer de scrupules, sa vie était en jeu.
- Trêve ? fit-elle au Schiff qui les regardaient avec le même oeil gourmand qu'elle devait avoir.
Il hocha la tête.
- On reprendra après...
Il découvrit ses crocs et elle se transforma au milieu des hurlements d'épouvante.

Cela commença par les ailes, cela commençait toujours par les ailes. Elle avait cru jadis qu'il serait possible de pouvoir ne faire apparaitre qu'elles avant de déchanter. Jamais elle ne pourrait arpenter les cieux autrement que sous la forme d'un monstre hideux, une chauve-souris géante vaguement humaine. Elle s'était haïe lorsqu'elle était parvenue à se voir.
Ses vêtements ne résistèrent pas à sa transformation ; en quelques instants, elle était devenue chiroptera.
Elle hurla à la lune, la faim lui dévorant les entrailles. Et cette soif...
Ses ailes se déployèrent dans un claquement sec. Elle vola jusqu'au groupe de jeunes. Confusément, les hurlements d'effroi l'amusaient.
Ils commencèrent à courir, se dispersant dans tous les sens. Elle hésita. Lequel choisir ? Son ennemi apparut à ses côté. Elle renifla. Il n'était pas comestible, aucun intérêt.
Elle bondit jusqu'à un jeune homme qui la regardait, tétanisé, et planta ses crocs dans son cou. Elle but avidement, tentant d'étancher cette soif infernale. Il s'effondra quand elle le rejeta. Qui d'autre ?
Elle s'apprêtait à se ruer sur une des adolescentes qui sanglotait à pierre fendre, isolée de ses compagnons, quand quelque chose l'en empêcha.
Elle-même.
Elle ne pouvait pas, elle ne voulait pas... Sa morale le lui interdisait, le souvenir de sa famille, ses propres principes qu'elle venait de transgresser deux fois dans la même journée.
Cymoril hurla une seconde fois. Elle avait encore soif, toujours. Mais...
Luttant autant qu'elle le pouvait, elle entreprit de se retransformer en cette frêle jeune fille qu'elle était depuis six cents ans.
Se contraignant à réfréner les pleurs qui lui nouaient la gorge, elle se tourna vers Morio Toki, observant ce qu'il faisait.

Avant de s'élançer, Morio avait attendu patiemment que Cymoril ne se transforme. Il ne l'avait jamais vu faire auparavant et se délecta de cette vision. Il n'en croyait pas ses yeux. La jeune femme qui était encore il y a deux minutes à ses côtés n'était plus à présent qu'un monstre hideux! Puis..., en un instant, elle déploya ses ailes et fondit sur le groupe de jeunes au-dessus d'eux. Morio la suivit.

*Je ne raterais ça pour le moins du monde!*

Escadant rapidement le pont, Morio alla ensuite se poster à son extrémité, barrant ainsi la route aux adolescents... Le spectacle allait commencer!
Et Cymoril fut la première à se mettre en évidence. En effet, paraissant un moment hésiter quant à sa cible, le chiroptéra originel finit par s'attaquer à un jeune homme d'à peu près 19 ans qu'il vida littéralement de son sang en quelques minutes. Une fois que le chiroptéra en eut finit avec lui, le garçon était déjà mort... Cela ne fit qu'accentuer la terreur de ses compagnons.

"Parfaite! Tu es parfaite! Aahahaaa!!"

Empêchant toujours les jeunes pétrifiés de s'échapper du pont, Morio attendait la suite. Il voulait voir jusqu'où irait Cymoril car il savait pertinemment qu'au fond d'elle même, elle n'aimait pas ce qu'elle faisait et encore moins ce qu'elle était... Mais alors que le chiroptéra s'approcha dangereusement d'une jeune fille recroquevillée et en pleure, la bête hésita..., avant de finalement se désister...
Bien entendu, Morio l'encouragea mais rien n'y fit..., elle ne pouvait plus.

"Tue-la!! Mais qu'est-ce que tu attends! Tue-la!"

Voyant que Cymoril s'était retransformée et qu'à présent elle le regardait avec des yeux emplis de larmes, Morio n'eut pas le choix...
En un éclair, le schiff se déplaça jusqu'à se retrouver aux côtés de Cymoril puis, tout en la regardant droit dans les yeux, il agrippa la jeune fille qu'elle venait d'épargner par la gorge et la souleva au dessus du sol. Se débattant, l'adolescente finit par capituler, étranglée. C'est alors que Morio en profita pour planter ses crocs dans la chair et absorber son sang.
Enfin, il leva de nouveau les yeux vers Cymoril, un sourire mauvais en coin.

"Et bien, que t'arrives-tu? Tu souhaitais réellement l'épargner?! Ahah! Laisse moi rire! Tu es une chiroptéra, ne l'oublie pas! Nous sommes nés pour tuer et pour le sang!"

S'approchant soudain de la jeune femme, Morio l'embrassa de force et en profita pour lui verser un peu du sang de sa jeune victime dans la bouche. Relachant après coup son étreinte, il n'en était que plus satisfait.

"Délicieux n'est-ce-pas? Je ne voulais pas que tu rates cela! Héhé..."

Elle but. Elle écarquilla les yeux en s'en rendant compte. Elle avait bu alors qu'elle aurait dû lui cracher ce sang à la figure. Mais cela avait été si délicieux, si irrésistible, si... Et il l'avait embrassée !
Les yeux de Cymoril s'assombrirent. Il s'en fallut de peu que, sous l'affluence de sa colère, elle ne se retransforme à nouveau. Mais il y avait eu assez de dégâts comme ça.
- Rustre, gronda-t-elle. Manant ! Vilain !
Et elle s'énervait pour un manque d'égards dûs à sa précieuse personne de jeune fille de la noblesse ? Lamentable. Comment osait-elle alors que deux cadavres jonchaient la route par sa faute ?
- Je vous hais, poursuivit-elle sourdement. Vous n'êtes qu'un monstre que je dois occire. Vous êtes pire que moi ou que n'importe quel Chiroptera !
Il faudrait qu'elle se renseigne sur les Schiffs. Du moins, si elle survivait à cette triste nuit. Si tous étaient comme lui alors elle les traquerait jusqu'au dernier.
Impossible de le nier, cependant, il venait d'attiser cette soif qu'elle venait d'avoir tant de mal à éteindre. Elle voulait encore du sang, elle en avait besoin. Non ! C'était un mensonge. Celui qu'elle trouvait dans les hôpitaux était amplement suffisant. Il fallait qu'elle réussisse à s'en convaincre.
Et pour cela, il n'y avait qu'une seule chose à faire : combattre. Se tenir occupée jusqu'à ce que cela cesse, jusqu'à ce que qu'elle n'ait plus envie d'égorger le premier être vivant.
Elle sauta du pont à la recherche de sa rapière et trouva sa lame là où elle l'avait laissée.
- À nous deux ! hurla-t-elle. Morio Toki, je vais débarrasser le monde de votre présence infâme !
Elle attendit que le Schiff daigne la rejoindre.

Aimer cela ? Oui, certes, il n'avait pas tout à fait tort. Aimer autant que les choses aimées par les Humains et qui les détruisaient, telles ces passions funestes qui les menaient à leurs pertes. Mais... Il y avait toujours ces principes qui l'avaient guidée depuis six siècles. Et elle aimait se battre aussi, c'était indéniable.
Elle soupira.
- J'ai trouvé d'autres moyens de me nourrir que de tuer des Humains...
Cela s'apparentait à faire la voleuse ou la mendiante dans les hôpitaux mais c'était néanmoins la seule solution.
Cependant... Cependant... Le discours du Schiff ne la laissait pas de marbre. Elle savait qu'il allait rire à sa réponse et faire voler tous ses idéaux en éclat.
Se battre contre lui ? C'était tentant mais ni lui ni elle ne parviendrait à gagner le duel. Ils pourraient y passer leur éternité s'ils le désiraient.
Morio Toki semblait la regarder avec des yeux sarcastiques. Il la devinait, elle en était sûre...
Un seul autre moyen : la fuite. Et tant pis pour l'honneur.
- Je vous souhaite bien le bonsoir, souffla-t-elle.
Serrant ses vêtements en ruine autour d'elle, elle partit en courant, ses mains crispées sur ses armes.
Direction une des tours de Notre-Dame là où elle était sûre que personne ne viendrait la chercher jusqu'au petit matin, là où elle réussirait peut-être à apaiser brèvement ses tourments.

Suite...